Protection des lanceurs d’alerte en Belgique

Protection des lanceurs d’alerte en Belgique

Evelyne Maes[1] et Louise Reyntjens[2]

Il y a un mois, le 15 février 2023, la loi fédérale sur les « lanceurs d’alerte » pour le secteur privé est entrée en vigueur. Il s’agit de l’une des six normes[3] actuellement rien qu’en Belgique pour transposer la directive européenne sur les lanceurs d’alerte (directive 2019/1937).

Vous avez bien lu: l’une des six. La répartition des compétences pour transposer la directive sur les lanceurs d’alerte n’est pas simple. Déterminer quelle norme protège un lanceur d’alerte belge dans une situation spécifique demandera donc une analyse des règles concernant la répartition des compétences. Et à l’heure actuelle, il existe également des lacunes dans cette protection, de sorte que certains lanceurs d’alerte ne sont pas (encore) protégés.

Nous expliquons ci-dessous quelles sont les exigences fixées par la directive européenne sur les lanceurs d’alerte et comment les législateurs fédéraux et flamands règlent la protection des lanceurs d’alerte.

Qu’exige la directive sur les lanceurs d’alerte?

La directive impose aux États membres de prévoir une protection pour les lanceurs d’alerte qui signalent trois types d’infractions:

-       les infractions relatives à certains domaines, tels que les marchés publics, la santé publique ou la protection de l’environnement (10 au total);

-       les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union;

-       les infractions liées au marché intérieur.

La protection des lanceurs d’alerte se compose de plusieurs éléments. Tout d’abord, les lanceurs d’alerte doivent pouvoir contacter quelqu’un. Des canaux de signalement internes et externes devraient être mis en place. En principe, l’obligation de mettre en place des canaux de signalement internes ne s’applique qu’aux entités juridiques du secteur privé employant 50 salariés ou plus. Les entités juridiques du secteur public sont toujours tenues de mettre en place un canal de signalement interne. Ces canaux de signalement doivent garantir un suivi correct du signalement. Ils doivent vérifier (ou faire vérifier) l’exactitude du signalement et remédier à l’infraction (ou y faire remédier), y compris par des mesures telles qu’une enquête, des poursuites, etc. Enfin, les États membres devraient veiller à ce que certaines mesures de protection des lanceurs d’alerte soient mises en place, telles qu’une interdiction de représailles.

La directive devait être transposée au plus tard le 17 décembre 2021. Seules les entités juridiques du secteur privé comptant de 50 à 249 salariés sont soumises à une période différée, dont la transposition doit avoir lieu au plus tard le 26 novembre 2023.

La protection Belge des lanceurs d'alerte et la répartition des compétences

La directive sur les lanceurs d’alerte impose à la fois des mesures de protection des lanceurs d’alerte et le suivi du signalement, et donc l’application de la législation. Les compétences en matière de mesures de protection des lanceurs d’alerte et les pouvoirs de suivi du signalement n’appartiennent pas aux mêmes autorités. L’application de la législation appartient au gouvernement fédéral, aux communautés et aux régions, chacun pour ses propres affaires.

Dans la loi fédérale sur le secteur privé, il semble - car ni la loi ni les documents parlementaires sont très claires - qu’il ait été décidé que la matière dont le lanceur signale une violation est décisive pour l’application de (la totalité de) la loi fédérale. Si le lanceur signale une violation de la législation fédérale, la totalité de la loi fédérale s’applique. Si le lanceur signale une violation d’une norme communautaire ou régionale, la loi fédérale est partiellement applicable. Les règles de signalement externe du droit fédéral ne s'appliquent pas au signalement de violations de normes communautaires ou régionales.

Pour la réglementation du secteur public, un autre critère a été choisi: la loi fédérale sur les services publics fédéraux, y compris la police intégrée (ci-après dénommée « loi fédérale sur le secteur public ») et le décret sur le secteur public flamand[4] sont applicables à l’ensemble du secteur.[5] Le critère décisif pour le décret flamand est l’autorité qui commet l’infraction signalée. La question de savoir si le signalement porte sur une matière fédérale ou flamande est sans incidence sur l’applicabilité du décret. Pour le suivi du signalement, le gouvernement flamand devra coopérer avec le gouvernement fédéral, si le signalement concerne une compétence fédérale (par exemple, les marchés publics). La loi fédérale sur les services public fédéraux indique moins clairement que la loi est applicable dans tous les cas, même si le signalement porte sur une matière flamande.

Quels signalements sont couverts?

Pas tous les signalements de tous les lanceurs d’alerte sont protégés.

Premièrement, la protection des lanceurs d’alerte ne s’applique qu’aux signalements de certains lanceurs, à savoir ceux qui ont une relation de travail[6] avec l’organisme privé ou public concerné, mais aussi certaines parties externes, telles que les collègues ou les membres de la famille des lanceurs.

Deuxièmement, la protection des lanceurs d’alerte ne s’applique qu’aux certains signalements. Par exemple, la loi fédérale sur le secteur privé fédéral ne s’applique qu’aux signalements d’infractions dans des domaines précis (14 au total).[7] Les lanceurs d’infractions non couvertes par ces domaines ne bénéficient pas de la protection des lanceurs d’alerte. Concernant l’avant-projet de loi, la section législative du Conseil d’État a souligné à juste titre que l’absence de régime de protection de ces lanceurs d’alerte peut être problématique au regard du principe d’égalité.

C’est différent pour la réglementation des lanceurs d’alerte dans le secteur public. À l’exception du décret de la Communauté germanophone, les autres initiatives législatives au secteur public prévoient un champ d’application très large. Par exemple, la loi fédérale sur les services public fédéraux s’applique aux signalements de soi-disant « violations de l’intégrité ». Il s’agit d’actes qui (i) constituent une menace pour l’intérêt public, (ii) enfreignent la réglementation applicable au service public fédéral, (iii) présentent un risque pour les personnes ou l’environnement, ou (iv) démontrent un manquement grave aux obligations professionnelles. Le décret sur le secteur public flamand s’applique aux signalements d’actes illégaux qui portent atteinte à l’objet ou à l’application de la réglementation. Compte tenu du principe d’égalité, un champ d’application aussi large semble approprié.

Quelle protection pour les lanceurs d’alerte?

Toutes les initiatives énumérées ci-dessus prévoient des mécanismes de protection similaires, imposés par la directive européenne : l’obligation de mettre en place des canaux de signalement internes et externes, et certaines mesures de protection comme l’interdiction de représailles. La loi sur le secteur privé prévoit également une forme de rétablissement remarquable en cas de licenciement, à savoir la possibilité d’être réembauché.

Plusieurs normes acceptent les signalements anonymes comme signalements sous la protection des lanceurs d’alerte. Les entités juridiques du secteur privé ne sont tenues d'accepter les signalements anonymes dans les canaux de signalement internes que si elles comptent plus de 250 employés. Le législateur justifie cette distinction tenant compte de la charge que représente la mise en place d’un système de signalements anonymes. La question se pose de savoir si la possibilité de faire de signalements anonymes n’est pas d’autant plus nécessaire dans les petites entreprises. Dans une grande entreprise, il sera généralement plus facile de garantir un certain degré d’anonymat du lanceur d’alerte. Ainsi, le lanceur d’alerte d'une entreprise de moins de 250 employés qui souhaite rester anonyme n'aura d'autre choix que de signaler la violation à l'extérieur.

Et maintenant?

Les différentes autorités et lanceurs d’alerte devront se frayer un chemin à travers les règles concernant la répartition des compétences. Par exemple: le choix d’un large champ d’application matériel dans le décret sur le secteur public flamand doit être encouragé à la lumière du principe d’égalité. Mais pour faire respecter tous ces signalements les autorités publiques flamandes devront nécessairement coopérer avec les autorités fédérales lorsqu’un signalement d’une violation d’une norme fédérale doit être suivi.

En outre, on attend avec impatience si les communautés et régions souhaitent offrir une protection plus large aux lanceurs d’alertes dans le secteur privé que le législateur fédéral.

Notre équipe suit de près tous ces développements et est prête à vous conseiller à ce sujet, ainsi que sur la protection des lanceurs d’alerte en général. Pour des questions, veuillez contacter Evelyne Maes à evelyne.maes@aurionlaw.be.


[1] Partner au sein du cabinet d’avocats Aurion, professeur invitée à l’ULiège (droit de la non-discrimination) et à l’Université Saint-Louis (Seminar Legal Theory).

[2] Avocate au sein du cabinet d’avocats Aurion, assistante scientifique bénévole KU Leuven.

[3] Au niveau fédéral : la loi du 28 novembre « sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union ou au droit national constatées au sein d’une entité juridique du secteur privé » et la loi du 8 décembre 2022 « relatif aux canaux de signalement et à la protection des auteurs de signalement d’atteintes à l’intégrité dans les organismes du secteur public fédérale au sein de la police intégrée » ; en Flandre : le décret du 18 novembre 2022 « modifiant l’arrêté provincial du 9 décembre 2005, le décret du 22 décembre 2017 sur l’administration locale et le décret de gouvernance du 7 décembre 2018, en ce qui concerne les lanceurs d’alerte »; Communauté germanophone : le décret du 21 février 2022 « établissant différents instruments relatif à la gestion des informations et des réclamations en Communauté germanophone » ; Communauté française: arrêté du gouvernement de la Communauté française du 6 juillet 2022 « portant les dispositions diverses relatives au signalement, par un membre du personnel, d’une irrégularité au sein d’un service du gouvernement de la Communauté française ou d’un organisme d’intérêt public relevant du comité du secteur XVII »; Région wallonne: Arrêté du Gouvernement wallon du 13 octobre 2022 « portant les dispositions diverses relatives au signalement d’informations sur une irrégularité suspectées au sein d’un service du Gouvernement wallon ou d’un organisme d’intérêt public auquel est applicable le décret du 22 janvier 1998 relatif au statut du personnel de certains organismes d’intérêt public relevant de la Région wallonne ».

[4] Le décret du 18 novembre 2022 « modifiant l’arrêté provincial du 9 décembre 2005, le décret du 22 décembre 2017 sur l’administration locale et le décret de gouvernance du 7 décembre 2018, en ce qui concerne les lanceurs d’alerte ».

[5] Avec quelques exclusions pour le secteur public fédéral, comme le pouvoir judiciaire.

[6] Y compris les anciens et futurs employés.

[7] Ces domaines sont : marchés publics; services, produits et marchés financiers et prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme; sécurité et conformité des produits; sécurité des transports; protection de l'environnement; radioprotection et sûreté nucléaire; sécurité des aliments destinés à l'alimentation humaine et animale, santé et bien-être des animaux; santé publique; protection des consommateurs; protection de la vie privée et des données à caractère personnel, et sécurité des réseaux et des systèmes d'information; lutte contre la fraude fiscale; lutte contre la fraude sociale ; les violations portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union visés à l'article 325 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et précisés dans les mesures pertinentes de l'Union et, le cas échéant, dans les dispositions nationales d'implémentation; les violations relatives au marché intérieur visé à l'article 26, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, y compris les violations des règles de l'Union en matière de concurrence et d'aides d'Etat.