Cour du travail de Bruxelles établit à nouveau un lien entre une mauvaise politique de bien-être et la discrimination
Dans un arrêt de principe du 4 septembre 2023 (Arbh. Bruxelles 4 septembre 2023, 2022/AB/110, Soc.Kron. 2023, afl. 9, 513), la Cour du travail de Bruxelles a une nouvelle fois appliqué le principe selon lequel une politique déficiente en matière de bien-être équivaut à une "discrimination" dans certains cas.
Cet arrêt montre une fois de plus que les employeurs ont intérêt à être prudents en matière d'obligations sociales sur le lieu de travail.
Lorsque certaines obligations sociales protègent spécifiquement un groupe de personnel bien défini et protégé par la loi sur la discrimination (par exemple, les femmes enceintes, les personnes handicapées, les travailleurs âgés,...), un tribunal peut juger qu'un employeur qui n'a pas respecté ces obligations s'est rendu coupable de discrimination à l'égard de ce groupe de personnel spécifique.
Dans ce cas, l'employeur peut être tenu, en vertu des lois sur la discrimination, de modifier sa politique, et les membres du personnel peuvent également réclamer les dommages-intérêts prévus par la loi (6 mois de salaire) dans ce cas.
Les faits de l'arrêt
Une femme travaillait dans le cadre d'un contrat de stage pour une organisation à but non lucratif basée à Bruxelles qui mène des études dans le domaine des droits de l'homme. Elle devait initialement effectuer un stage de trois mois, avec la perspective d'un contrat permanent par la suite.
Un soir, alors que la stagiaire travaillait tard, son patron l'a fait entrer dans son bureau, l'a attirée sur ses genoux, l'a pelotée et a essayé de l'embrasser.
La stagiaire s'en est plainte le lendemain auprès du conseil d'administration de l'asbl. L'asbl a alors prétendument lancé une enquête interne, qui n'a toutefois pas été menée sérieusement du tout et qui était en fait une dissimulation. Il était clair que l'asbl protégeait en fait le gestionnaire incriminé. Par la suite, l'asbl a fait savoir que la femme n'avait pas reçu de nouveau contrat à la fin de son stage. Qui plus est, l'asbl et le directeur ont tous deux déposé une plainte pénale contre la jeune femme pour "diffamation" et pour avoir prétendument porté atteinte à la réputation de l'asbl.
Toutefois, le dernier jour du stage, la femme a également introduit, sur les conseils de l'Institut pour l'égalité entre les hommes et les femmes - qu'elle avait contacté entre-temps - une demande d'intervention psychosociale formelle pour harcèlement sexuel sur le lieu de travail, auprès du conseiller en prévention du service externe de prévention et de protection. Cela a obligé l'asbl à accepter que ce conseiller en prévention externe mène une enquête objective sur la situation au sein de l'asbl.
La conseillère externe en prévention a ensuite signalé dans son rapport qu'il y avait eu trois autres incidents de comportement sexuellement transgressif avec le même superviseur au cours des deux dernières années, et a conclu que le conseil d'administration de l'asbl n'avait pas réussi à prévenir les cas de harcèlement sexuel. En outre, la conseillère externe en prévention a également conclu que l'organisation à but non lucratif n'avait pas assuré un suivi adéquat des différents incidents et n'avait pas pris soin des victimes de manière appropriée.
Arrêt de la Cour du travail
Après avoir obtenu une copie de ce rapport auprès du conseiller externe en prévention, l'Institut a entamé une procédure judiciaire contre l'asbl pour violation de la loi sur le genre.
La cour du travail a suivi l'Institut dans son raisonnement, condamnant l'asbl pour "discrimination indirecte" à l'égard des femmes, et ce pour l'absence de mesures de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
En effet, la cour du travail a constaté que l'asbl n'avait pas pris les mesures requises par la loi sur le bien-être du 4 août 1996 pour protéger ses employés contre le risque de harcèlement sexuel, et qu'elle n'avait pas pris de mesures adéquates en réponse à la dernière plainte déposée par la stagiaire.
L'insuffisance des politiques de protection sociale et de prévention du harcèlement sexuel peut, en principe, affecter aussi bien les hommes que les femmes. Toutefois, la cour du travail a constaté que l'absence de politiques de lutte contre le harcèlement sexuel au travail désavantageait principalement les femmes. Le "matériel statistique élémentaire" fourni par l'Institut a révélé, selon la cour du travail, qu'en général, plus de 90 % des cas signalés de harcèlement sexuel au travail touchent des employées spécifiques.
Sur la base de ces éléments, la cour du travail a estimé que l'asbl s'était rendue coupable de discrimination indirecte à l'égard des employées.
La cour du travail a demandé à l'asbl, sous astreinte, d'adapter sa politique. Concrètement, dans un délai fixé par la cour du travail, l'asbl doit mettre en œuvre un certain nombre de mesures internes pour contribuer à réduire le harcèlement sexuel sur son lieu de travail, ainsi que des mesures visant à garantir que les employés victimes de ce harcèlement sont correctement pris en charge.
Implications de cet arrêt
Tous les employeurs sont tenus de procéder à une évaluation des risques en matière de bien-être au travail et de mettre en œuvre les mesures qui en découlent.
Jusqu'à récemment, on considérait qu'un employeur qui n'appliquait pas correctement la politique de bien-être ne courait que le risque d'être poursuivi à cet égard par l'auditorat du travail, à la suite d'une inspection. En d'autres termes, la "chance d'être pris" était plutôt faible.
Comme les tribunaux voient de plus en plus souvent une raison d'assimiler une politique de bien-être défaillante à une discrimination à l'encontre d'un groupe de personnel bien défini, les employeurs risquent d'être poursuivis plus souvent, avec des conséquences importantes pour l'employeur par la suite.
Tout employé qui est désavantagé par la politique de bien-être défectueuse et qui peut relier cette politique défectueuse à un critère de discrimination protégé (par exemple, le sexe, l'âge, le handicap, etc.) peut intenter une action en justice. Cette personne peut également demander l'assistance de l'Institut pour l'égalité entre les hommes et les femmes ou d'Unia.
Ainsi, si la cour établit un lien avec la discrimination, cela implique un élargissement considérable du groupe de personnes qui peuvent agir contre les défauts de la politique sociale.
De plus, l'indemnisation dans ce cas est fixe : en effet, toute personne victime de discrimination a automatiquement droit à l'indemnité forfaitaire prévue par la loi (6 mois de salaire).
Par ailleurs, l'Institut ou Unia peut également saisir les tribunaux de sa propre initiative, sans représenter ou assister une victime spécifique, dans le but de faire "tomber" les politiques discriminatoires en général. Par exemple, dans le cas spécifique décrit ci-dessus, la cour du travail a imposé quatre injonctions à l'asbl sous astreinte. Ce faisant, l'asbl a été tenue de prendre un certain nombre de mesures pour mettre fin à la pratique discriminatoire au sein de l'entreprise.
Bien que les faits à l'origine de l’arrêt susmentionné aient été exceptionnellement déraisonnables, la décision de la cour du travail n'est plus exceptionnelle. Il s'agit d'une tendance jurisprudentielle. Des arrêts similaires ont été rendus récemment.
Il est donc important pour les organisations de toujours contrôler rigoureusement la bonne exécution de l'analyse de risques obligatoire sur le bien-être au travail et le bon respect des mesures proposées qui en découlent.
Contactez Jurgen Goyvaerts ou Hanne Gielens pour plus d’info.